Jouons à chat !

La lumière pâle de l'aube commençait à peine à filtrer au travers des voilages, mais Corail était déjà debout. Elle était vêtue d'une tunique gris clair aux manches bouffantes ornées de perles turquoises. Sa jupe traînait sur le sol en soulevant un nuage de poussière étincelante de lumière à mesure que ses pas rapides et vifs frappaient le sol.
Elle emprunta les escaliers de service pour se rendre aux cuisines, fit quelques provisions de petits pains chauds au beurre en évitant soigneusement de rencontrer les cuisinières, puis se rendit lestement dans les jardins des toits. De là haut, elle pouvait contempler la cité de bois en laissant l'air frais du matin jouer avec ses mèches auburns, en écoutant la rumeur du peuple qui s'éveille et le roucoulement doux des oiseaux du jardin.
Elle se pencha au-dessus de la balustrade de pierre pour apercevoir tout le dédale de toits et de gouttières qui courait, tel un labyrinthe, à travers la cité entière.

Une fois les petites brioches englouties, Corail s'allongea sur les dalles fraîches et ferma les yeux.
Lorsqu'elle fut complètement sous son apparence féline, elle se dégagea grâcieusement du tas que formait ses vêtements, sauta sur la balustrade et se laissa tomber dans le vide pour attérir, quelques mètres plus bas, sur une corniche escarpée.


Elle ne savait plus trop sur quel toit elle se trouvait, mais elle avait faim. Elle sentit le fumet délicat d'un pain qu'on sort du four.

Qu'importe qui je rencontre, je ne suis qu'un chat. Allons donc par là...

Le soleil passa un rayon hésitant dans la chambre puis se posa sur les yeux fermé de Seliena qui poussa un grognement et se retourna vivement. Au bout d'une dizaine de minutes, abandonnant l'idée de se rendormir, elle se leva, s'étira longuement et poussa un baîllement sonore.
Elle promena alors son regard tout autour d'elle: sur la droite, une porte donnait sur un petit salon douillet où étaient disposés des centaines de livres en tout genres sur des étagères toutes simple en bois fonçé. Un empilage de matelats recouverts d'un tissus vert fonçé étaient posissionnés sous la fenêtre, des coussins étaient disposés en vrac dessus. A droite il y avit la porte d'entrée qui s'ouvrait sur un long escalier grinçant qui déboulait dans une ruelle commerçante. La chambre de Seliena était assez petite et ne contenait que le stricte nécéssaire: un lit, une commode et une grande armoire. La salle de bains située à gauche n'avait pas de porte et était très froide. En face du lit, une cuisine cachée derrière un rideau en soie. Le petit appartement était sous les toits et quand il pleuvait, on entendait les gouttes de pluies chanter sur le toit en bois.
Seliena huma l'air comme a son habitude, se leva et se gratta l'oreille gauche en s'avançant vers sa petite salle d'eau dans l'idée de prendre un bon bain chaud. Elle saisit une bassine en fer dans laquelle elle fit couler de l'eau froide, puis la posa sur les braises rougeoyantes, reste de bûches consummées pendant la nuit. Dès que l'eau fut chaude elle la versa dans la baignoire et recommança le manège jusqu'a remplir la baignoire complétement.

Quand Seliena se fut lavée, elle s'habilla simplement avec une chemise de lin et un pantalon de toile marron. Elle disposa savamment ses couteaux dans les replis de ses vêtement, dans ses poches, et dans ses bottines en cuir. Entendant son ventre produire des gargouillements peux harmonieux, elle entra dans sa cuisine et entreprit de faire ses petits pains avec amour dont elle raffolait tant. Après les avoir mis au four elle se prépara une infusion de tilleul. La laissant refroidir un peu elle se dirigea vers sa chambre pour se saisir d'une brosse et commença a démeller ses cheveux indisciplinés.
"Je vais mettre un certain tant avant d'enlever tous ces horribles noeuds..." maugréa-t-elle en se mettant à l'ouvrage.
Seliena grimaçait dès que la brosse tirait sur un noeud, arrachant au passage des cheveux noirs. Sentant l'odeur des pains bien cuits elle reposa sa brosse et alla les sortir du four. Elle les posa sur la table pour les laisser refroidir avec la tisane et elle retourna dans sa chambre...

Quelques minutes plus tard Seliena entendit du bruit provenant de la
cuisine. Ni une ni deux elle bondit dans la pièce, deux couteaux à la main pour se retouver nez à nez avec... un chat. Seliena resta quelques secondes dans sa position ridicule -jambes à moitiés pliées, couteaux brandis au-dessus de sa tête dans l'attente d'un ennemis à pourfendre...- puis baissa les bras, rangea ses couteaux et observa le chat qui avit posé sa patte sur son pain.

Corail sauta lestement une cheminée noircie de suie, puis continua sa promenade jusqu'à un petit rebord de fenêtre en fer joliment forgé. L'odeur venait de là, et le fumet alléchant chatouilla ses naseaux et la fit saliver. Elle s'approcha prudemment en évitant les quelques tuiles en mauvais état, et observa l'intérieur. La charmante petite pièce présentait une sorte de four ingénieux, quelques chaises, et, jouxtant la fenêtre, une table de bois brut sur laquelle étaient posées une carafe d'eau et une assiette de bois.

Des petits pains doraient dans le four, dégageant une odeur à laquelle elle ne pouvait résister. Elle commença a poser une patte sur la table, mais la retira et se blotti derrière le balconnet de fer en entendant des pas légers s'approcher. Une jeune femme entra, sa chevelure à moitié emmêlée. Elle posa une petite tasse sur la table juste sous son nez. Corail la vit se saisir d'une planche de bois au bout d'un long bâton et rentrer l'outil dans le four. Elle ressorti peu après deux petits pains merveilleusement dorés et parfumés, et les posa sur la table, avant de repartir d'où elle était venue.

Corail redressa aussitôt la tête, et perdit toute conscience de son rang. Elle posa une patte sur la table, puis deux, et lorsqu'elle fut à moitié rentrée dans la pièce, posa une patte griffue sur le pain chaud. Fière de sa victoire, elle resta un moment ainsi, heureuse d'avoir capturé un morceau de pain.

Soudain elle se retrouva nez à truffe avec la jeune femme, qui braquait sur elle deux lames courtes et brillantes. Elle sursauta et recula brusquement, la griffe coincée dans le pain qui recula avec elle.
"Ne panique pas, se dit-elle. Réagis comme un chat. Réagis comme un chat..."
Elle agita sa patte prise au piège dans la miche tiède pour tenter de se dégager, et prit une expression apeurée, qui n'était pas tellement simulée.

Voyant que la jeune femme avait rangé ses couteaux et poussait un soupir soulagé, Corail se calma un peu, mais elle était toujours coincée. De sa patte libre, elle appuya sur la miche et retenta d'extraire ses griffes, mais se rendit compte que ce n'était pas un comportement très félin et cessa. La femme avait l'air un peu honteuse envers elle-même d'avoir réagi de la sorte pour un chat, et amusée à la fois par la détresse du chat trop gourmant.
"Je veux bien cesser de manger des petits pains si c'est pour éviter ce genre de situation délicate..."
Abandonnant toute idée de se sortir de ce pétrin, (et c'est le cas de le dire), elle s'assit, prit un air fier laissant penser que ce n'était pas un bout de pain qui allait blesser sa vanité, et observa la jeune femme l'air de dire : "Alors, tu m'aides ?"

...

Après avoir rangé ses couteaux honteusement, Seliena observa le chat se débattre quelques instants avec le pain puis s'assoir et enfin la regarder avec un air très humain qui stupéfia Seliena. On aurait dit que le félin ordonnait à la femme-louve de l'aider...

Très impréssionnée, Seliena tendit une main hésitante non sans épprouver un certain sentiment de malaise vis-à-vis de l'animal qui n'avait rien d'animal. Elle attrappa le petit pain d'une main et la patte du chat de l'autre puis tira. Elle repris le pain et le posa un peu plus loin sur la table. Le chat avait l'air de convoiter un peu trop son pain... Seliena se racla la gorge comme pour attirer l'attention et demanda:

"Dis-moi petit chat, tu ne serais pas, par hasard, un membre de la Famille Royale qui peut se métamorphoser en chat quand bon lui semble? Hum?" Avec humour, Seliena pensa que si ça n'était pas le cas, elle aurait l'air un tantinet idiote devant le pauvre chat sans pouvoir aucun...

Et se fut non s'en surprise qu'elle entendit le chat lui parler...

"Je sais qui tu es, toi. Commença Corail.
"Tu es une pisteuse, tu protèges la cité n'est-ce pas ?"

Devant l'air surpris de la jeune femme, Corail partit d'un petit rire.
"Tu as de bons reflexes je vois. Merci pour ma patte au fait, je suis désolée d'avoir tenté de goûter ton pain...il sentait si bon...Quand je suis chat, je ne contrôle pas toujours tout ce que je fais..."

Elle se tut un moment, puis repris : "Tu as raison, je suis Corail Naëlian. Mais tu ne dois révéler à personne mes promenades sous cette forme..."

Corail se releva et s'approcha à pas légers de Seliena.
"Je ne savais pas que le palais engageait des êtres si doués. Où as-tu appris tout cela ? Est-ce un entraînement des maîtres d'armes du palais ? Ceci-dit j'en doute, ces hommes ne prônent guère la discrétion et la furtivité, comme je t'ai vu l'exercer pour moi."

Si les chats peuvent sourire, c'est ce que Corail fit.

Remise de sa stupeur, Seliena se sentie assaillie de questions et c'est pourquoi elle répondit à Corail en balbutiant un peu:

"Je heu...oui je suis bien une pisteuse...Je...hu...ne savais pas que j'étais aussi connue." Puis devenant soudain sombre,"Toutes mes capacitées, je les ai acquises auprès de l'être qui fut le plus cher à mon coeur, un Ermite qui ne me donna jamais son nom et qui fut pour moi un père parfait... Je hais ces bâtards -excusez-moi pour ce terme Princesse...- de soldats qui ne pensent qu'à boire et à voler sous les jupons des femmes. Ils ne connaissent rien au véritable Art du combat."

Puis se radoucissant Seliena tira une chaise, s'y assit et demanda avec humour et malice: "Et vous belle Princesse, me raconterez-vous pourquoi je ne dois point dire que vous vous baladiez sur les toits en cette somptueuse matinée? si vous me le dîtes, je vous donnerai mon pain que vous convoitez tant..."

"Ce n'est pas que tu es connue, c'est qu'au palais nous avons tout de même connaissance des personnes qui travaillent pour nous. Du moins, je l'espère."

*C'est un lieu tellement plein d'intrigues...*

"Je suis bien d'accord avec toi pour ce qui concerne les soldats...Je les évite autant que possible vois-tu..."

Elle laissa passer un court moment de silence, avant de reprendre :
"Mes soeurs n'apprécient pas tellement le fait que je sorte ainsi, seule en ville. J'essaye de sortir en douce..." Fait-elle en accompagnant ses paroles d'un regard malicieux.

"Mais aujourd'hui...c'est encore différent...Fait-elle d'un air pensif en lorgnant le pain tiédi.
"Aujourd'hui je devais me rendre au marché, je voudrais trouver une personne qui me serait utile...pour une certaine tâche..."

Puis, semblant se reprendre soudain, le chat s'interrompit et conclu :
"Bref, j'aurais aimé que mes soeurs n'apprennent pas cette sortie solitaire, mais surtout cette sortie au marché..."

*Et tu dis tout cela à une femme que tu connais à peine ? C'est malin, vraiment ! Ferme ton petit museau et tiens-toi mieux, idiote !*

Corail se gratta l'oreille de sa patte pleine de miette en observant Seliena.

*Hum, elle en cache des choses cette petite boule de poils... Je compte bien en savoir d'avantage quitte à laisser mon pain partit avec une inconnue...Sniff.*

Le ventre de Seliena émit un cris de protestation et celle-ci décida de manger un petit quelque chose. Elle se leva, pris des biscuits dans un tiroir et entreprit de les grignoter. Quand elle les eu finis, elle fis un petit tas des miettes qui étaient sur la table et demanda d'un air qui se voulait lointain:

"Et sinon cette certaine personne...pour cette certaine tâche... Je ne voudrais pas paraitre indiscrète mais.. Si en fait j'aimerais être indiscrète et je voudrais savoir qui vous allez rencontrer et pourquoi ? Si vous me dite tout, d'abord je ne dirais rien -qui gagnerais-je...- et puis en plus je vous donnerais de la confiture pour aller avec votre petit pain. Qu'en dites-vous? C'est à prendre ou à laisser.

*Te laisse pas avoir !! Ne dis rien !*

"Et bien..."
Corail s'approcha encore un peu, s'asseyant presque sur la miche de pain.
"Et bien je..."
Elle sembla soudain perdre tout contrôle de son humanité :
"J'ai un travail à confier à quelqu'un d'efficace. Un petit meurtre de rien."

Elle roula sur elle-même et, allongée, commença une toilette minutieuse.

"Je cherche un tueur à gages. Tu sais que les gages ne me poseront aucun problème. Je veux que la tâche soit vite exécutée. L'homme est dangereux."

Son discours était sans cesse interrompu par les coups de langue qu'elle donnait sur son pelage soyeux.

"Tu dois certainement te demander pourquoi je cherche un mercenaire, et non pas une personne comme toi...C'est que j'ai pensé qu'en demandant à la pisteuse, mes soeurs seraient un jour ou l'autre au courant."

Elle entreprit de se nettoyer l'arrière des oreilles.

"Et pourquoi je ne veux pas que mes soeurs soient au courant ? C'est une affaire entre lui et moi, voilà tout. Cela dit, maintenant que je t'ai prévenue, pisteuse, tu vas mettre au courant mes soeurs, n'est-ce pas ? Que je suis sotte en chat ! Pour un malheureux pain..."

Seliena s'amusait comme une petite folle... Elle gloussait interieurement. Le manège du petit chat était très distrayant aussi la femme-louve poussa encore un peu plus loin le jeu. Quand elle parla, ses yeux étaient rieurs et sa bouche dissimulait mal un sourire.

"Effectivement tu n'aurais pas dû parler... Je m'en vais de ce pas parler à tes soeurs."

Seliena ne pu contenir son rire devant l'air paniqué de Corail. Elle poussa un long hurlement puis se mit à japper pendant quelques minutes. Quand elle se fut calmer et qu'elle eut essuyé ses yeux, Seliena reprit avec serieux:

"Je rigole Princesse, je rigole... Mais tu sais, les tueurs à gage ne sont pas très fiables. Te laissez y aller seule ne me rassure guère. Et même accompagné cela ne me rassure pas... Quel est l'homme que tu veux tuer ? Je le ferais pour toi gratuitement car je t'aime bien Princesse Corail, à condition que le motif soit suffisant. Je n'en soufflerais pas un mot à tes soeurs, promesse de femme-louve !"

Seliena observa le chat qui avait continué sa toilette méticuleusement sans lever la tête.

"Dis corail tu m'écoutes ?"

Corail cessa de se lécher les pattes, puis observa la pisteuse droit dans les yeux.
"Cela se voit donc tant que ça que je suis Corail ?" (ben oui, ses autres soeurs se transforment en chats aussi)

Elle se coucha sur le pain et s'étira mollement.
"Mmmmh...ce n'est pas le prix qui me pose problème, comme je te l'ai dit...toutefois, ton offre est pour le moins étrange, et je devrais me méfier, n'est-ce pas ?"
Elle se mit sur le dos et ronronna.
"Mais j'ai d'autres chats à fouetter...Elle émit un petit ricannement. "J'accepte ton offre ; cependant, avant de te fournir un nom, j'aimerais bien connaître le tien, pisteuse.

Seliena était impréssionnée par l'autorité du chat. Elle répondit aux questions de la Princesse avec un regard appuyé:

"Je me nomme Seliena Domuël et je suis une flaireuse (eh oui c'est pas pisteuse... Tsön aussi dit ça..) au service de la Famille Royale et du Conseil Des Soeurs. Je connais tes soeurs, et elle m'on parlé de toi, il parait que tu aimes jouer et je ne pense pas qu'une de tes soeurs serait entré dans une maison inconnue pour voler un petit pain... J'en est déduis que tu était Corail Naëlian"

Seliena se leva pour vider sa tasse remplie de tisane froide qu'elle n'avait pas bu, puis revint s'assoir.

"Il est vrai que je n'ai aucune raison de te proposer mes services, surtout gratuitement mais je m'ennuie depuis quelques jours, les meurtriers et les bandits se cachent, je ne sais pourquoi d'ailleurs... J'ai peur qu'ils préparent un mauvais coup en bande."

Seliena poussa le petit pain d'un geste du dos de la main vers Corail puis se leva pour aller chercher dans un placard un pot de confiture de fraise et un pot de miel.

" Tiens, je n'ai que cette confiture et du miel à te proposer, tu peus savourer ton pain maintenant...Mais tu n'as pas répondu à ma question: De quel homme s'agit-il ?"

("J'en est déduis, tu peus" rooh !)

Le chat grignotta un bout de pain avec avidité, puis lécha le couvercle du pot de confiture, avant de reprendre :

"L'homme concerné se cache en ce moment même sous la voûte des branches. Tu le trouveras près des vieux chênes, car il se plaît par là. Il a élu domicile dans les plus grosses branches, et il est vêtu d'une cape souillée par la boue et trouée en de nombreux endroits; elle est de couleur sombre. Il est brun et ses yeux sont gris. Sa carure est imposante et il est très agile.

"Tu auras du mal à le trouver, aussi je te conseille de commencer en longeant la rivière jusqu'à l'orée des bois, et de chercher des traces fraîches de pas près du bord de l'eau, car il n'y a qu'ici qu'il peut épancher sa soif.

"Mais je te donne des conseils, alors que tu est une flaireuse, j'imagine que tu portes bien ton nom. Sois prudente et rappelle-toi : l'homme est difficile à voir..."

Sur ces mystérieuses paroles, Corail s'enfuit le pain entre les crocs, ne laissant que quelques miettes et un couvercle impeccable.

Corail laissa Seliena songeuse, devant les restes du pain et du couvercle méticuleusement nettoyé.

*Bien, maintenant je n'ai plus qu'à me rendre près de la rivière mais avant tout je vais acheter quelques babiole sur le marché....*

Pour la suite de l'histoire de Seliena: marché